Les fleurs ne sont-elles pas couleur? Mis à part le pigment en poudre, existerait-il une autre forme matérielle plus emblématique de la couleur?
Elles ont inspiré les artistes de toutes les époques et ont encore des surprises à nous révéler. Simples ou sophistiquées, parfumées ou élégantes, de couleur vive ou tendre, elles déploient leur charme sans compter.
Accueillez-les dans vos intérieurs sous forme de bouquets ou de textiles, de tableaux, de céramiques ou de sculptures.
Prenez-les, déshabillez-les du regard, et piégez-les dans vos nouvelles créations en vous laissant inspirer par ce nouvel article.
Et juste avant, un petit paragraphe sur la vision des animaux, en particulier des insectes.
Les autres types de vision
Les insectes constituent le « public cible » des fleurs, celui qu’elles espèrent attirer pour se faire féconder. Les couleurs chatoyantes des fleurs ne sont donc pas pour nos beaux yeux, mais pour les leurs. L’insecte quant à lui cherche celles qui lui offriront plus de nectar: moins de travail pour plus de nourriture! Quand les deux intérêts convergent, les espèces prolifèrent.
Nous percevons la lumière visible (entre 380nm et 780nm) grâce à des cellules situées sur la rétine. De jour, trois types d’entre elles — les cônes — nous permettent de voir en couleur, chaque type étant sensible dans différentes fenêtres spectrales; notre vision est dite tri-chromatique.
Les animaux possèdent des types de cellules sensibles à d’autres longueurs d’ondes encore. La comparaison entre les réponses produites permettra de distinguer des couleurs. Ces types varient selon l’espèce et parfois même selon le sexe. Certains possèdent un type de récepteur, d’autre deux, trois, ou même plus, jusqu’à douze chez la crevette.
La vision des insectes est située entre 330 nm et 630 nm. Certains récepteurs sont plus sensibles aux UV, d’autres à une fenêtre autour du bleu, du vert ou du jaune (voir cet article). L’abeille en possède aussi trois, mais décalés par rapport aux nôtres.
Pour comprendre l’évolution, on croise les caractéristiques spectrales des fleurs — la lumière qu’elles envoient — avec celles de la vision des pollinisateurs — la lumière qu’ils détectent (lire ici).
Plus poétiques que les jumelles infra-rouge, j’attends les lunettes qui nous donneraient la vision des abeilles.
S’inspirer et Observer
Si j’étais historienne de l’art j’écrirais « l’art raconté par les fleurs ». Le sujet semble en effet traverser le temps et l’espace. On trouve un intérêt pour les fleurs partout dans le monde. Ne sont-elles pas à la source de notre sens de l’esthétique? Sous forme d’offrande, elles remercient l’univers de nous donner la vie et la beauté. Plus simplement, elles sont une occasion de nous réjouir et de nous émerveiller.
Peinture flamande
Chez les peintres flamands les représentations de bouquets appartiennent au genre des « vanités »; elles nous rappellent le temps qui passe. Les fleurs en bouton sont des promesses de beauté, celles qui flétrissent annoncent la mort prochaine.
Notre promenade inspirante commence par cette nature morte de Daniel Seghers (1590-1661). Un fond sombre met en valeur les fleurs claires déclinées dans différentes teintes. Pas de vase, juste une grande variété de fleurs et deux rubans qui indiquent qu’il s’agit d’une guirlande ou d’une couronne.
Ensuite, voici une nature morte de Judith Leyster (1609-1660). Le travail, d’une grande délicatesse est aussi tout en finesse; les pétales des lys et des tulipes sont translucides et éclatent également sur le fond sombre.
Enfin, ci-dessous, une œuvre d’Abraham Mignon (1640-1679). J’aime particulièrement le tourbillon de fleurs rouges arrangées en spirale autour de l’oeillet blanc, au centre du bouquet. Les épis de blé et les tiges invitent aussi à cette danse en tourbillon, dans un axe perpendiculaire à la lumière.
Les réalistes
Voici deux natures mortes d’Henri Fantin-Latour (1836-1904), dans la lignée des natures mortes flamandes, mais avec un fond clair. Dans le premier, le jeu de lumière dans le vase, sur les fleurs et dans le fond est très réussi. La gamme de couleurs est réduite. Le deuxième est plus campagnard et plus varié.
Estampes japonaises
Ce genre est antérieur à la peinture réaliste montrée plus haut mais il est élaboré dans un autre lieu; il aura un impact sur la manière de concevoir la peinture.
En effet, Utagawa Hiroshige (1797-1858) et Hokusai (1760-1840) (voir aussi ce défi) ont exercé une grande influence sur les peintres européens comme Van Gogh, Monet et Sisley. Tous deux ont réalisé une série d’estampes de fleurs, essentiellement dans leur milieu naturel, souvent comme avant-plan d’un paysage. La beauté de la ligne, la composition harmonieuse, la palette réduite, tous ces ingrédients se trouvent dans l’estampe ci-dessous.
Odilon Redon
De son vrai nom Bertrand Redon (1840-1916), ce peintre symboliste français déploie une palette joyeuse et lumineuse. Ses bouquets en sont de magnifiques exemples.
Vincent van Gogh
Impossible de faire l’impasse sur Vincent van Gogh (1853-1929) dans ce défi consacré aux fleurs. On connaît ses tournesols et ses iris, mais avez-vous déjà vu ceux-ci? Par ailleurs, van Gogh peint aussi les fleurs des arbres. L’influence de l’estampe japonaise est la plus marquée dans l’amandier en fleurs.
Impressionnistes
Peu connu parmi les impressionnistes, voici un peintre japonais. À 20 ans, Kuroda Seiki (1866-1924) abandonne ses études de droit pour la peinture qu’il décide d’étudier à Paris. Je l’ai mis en relation avec le tableau d’Auguste Renoir (1841-1919), beaucoup plus connu chez nous. Les deux autres tableaux de Renoir, bien antérieurs, rappellent les natures mortes flamandes par leur fond sombre.
Les fleurs blanches et roses du bouquet de Pierre Bonnard (1867-1947) se fondent dans l’arrière-plan crème. Le vase lui-même est décomposé selon ses faces, l’une ocre jaune, l’autre bleue tandis que quelques taches colorées animent le tableau.
Claude Monet (1840-1926), souvent invité dans mes défis, est aussi un amoureux des fleurs, en témoigne sa magnifique propriété de Giverny et les nombreux tableaux qu’il y a peints. Il se passionne aussi pour l’estampe japonaise; on peut encore voir une partie de sa collection dans sa maison. Il s’en inspire pour peindre une vingtaine de tableaux qu’il vendra en 1889 à … Théo van Gogh, le frère de Vincent. Dans la série des nymphéas qui s’étale sur les 31 dernières années de sa vie, on observe un glissement vers l’abstraction.
Emil Nolde
L’expressionniste allemand Emil Nolde (1867-1956) a peint beaucoup de fleurs dans sa carrière de peintre. Il existe encore peu de reproductions libres de droit de ses œuvres; voici une des seules que j’ai pu trouver.
Hermen Anglada Camarasa
La peinture ci-dessous est l’œuvre de l’artiste catalan Hermen Anglada Camarasa (1871-1959). Ce bouquet un peu naïf, faussement symétrique offre un très bel équilibre chromatique sur fond bleu.
En aquarelle
Klaus Fussmann (né en 1938) excelle dans la peinture des fleurs et des paysages. À mes yeux il est le direct héritier d’Emil Nolde. Ses aquarelles d’anémones, de pavots, de glaïeuls ne sont que des prétextes pour faire éclater la joie de la couleur.
Illustration
Les livres de botanique me fascinent. Les dessins et aquarelles sont tellement plus efficaces que des photos pour transmettre les spécificités de chaque espèce.
Le dessinateur, graveur, peintre et aussi mathématicien allemand Albrecht Dürer (1471-1528), a dessiné très fidèlement plusieurs fleurs. Son souci de précision qu’on retrouve dans toute son œuvre est tout à fait remarquable dans l’aquarelle « Aquilegia » présentée ci-dessous.
Pierre-Joseph Redouté (1759-1840), peintre, graveur, éditeur et enseignant a collaboré a près d’une cinquantaine d’ouvrages comme illustrateur et éditeur.
Avez-vous aussi rêvé enfant devant les magnifiques planches d’illustrations d’Adolphe Millot (1857-1921) dans un vieux « Petit Larousse illustré »?
L’illustratrice contemporaine Jennifer Orkin Lewis partage son travail quotidien sur instagram (@augustwren). La fraîcheur, la spontanéité, et l’assurance de ses choix colorés ne peut que vous inspirer. Les fleurs occupent une place importante dans sa création. Dans ces trois illustrations j’apprécie particulièrement le dialogue des traits et des masses, l’opposition de la transparence et de l’opacité, et l’harmonie globale qui se dégage.
Photographie
Isabelle Menin (née en 1961) est une photographe aux yeux de peintre. C’est d’ailleurs dans le design graphique et l’illustration qu’elle a commencé sa carrière. Elle a abandonné la peinture pour se consacrer à la photographie numérique: elle photographie, scanne des éléments naturels et assemble le tout dans des compositions combinant textures et couleurs.
À la source de son travail, l’effervescence de la couleur. Lumière, transparence, opacité, elle jongle tantôt avec l’une tantôt avec l’autre. D’aucuns diront qu’elle se perd dans la beauté. Mais au-delà de l’opulence, du festival de couleurs et d’une composition tirée au couteau, on sent son inspiration autant dans la joie que dans la peine, et il reste toujours une partie de mystère dans ses photographies. Certes on sent l’influence de la peinture dite ancienne, mais on ressent un travail premier sur le matériau naturel et une appropriation des techniques d’aujourd’hui.
Sculpture
Jeong Hwa Choi, un artiste coréen né en 1961, réalise d’immenses sculptures florales. Celle-ci, « L’arbre Fleur », est constituée de 85 fleurs; elle égaie la ville de Lyon les jours de pluie.
Arts décoratifs
Si l’on veut garder la fraicheur d’un bouquet, on doit bien se résigner à le mettre dans un vase. Sobres ou sophistiqués, les vases deviennent des objets décoratifs à part entière. Si l’agencement des motifs est souvent dictée par la silhouette du vase et donc moins délicate qu’en peinture, le choix de la forme de ce dernier est essentielle; elle donnera ou non de la légèreté au bouquet. Par ailleurs, les fleurs stylisées lui feront moins concurrence que des motifs trop réalistes.
Ci-dessous, un détail d’un vase asiatique présenté au Musée Guimet de Paris. La photographie est légèrement déformée pour vous permettre de voir deux faces simultanément.
En Belgique, la manufacture Royal Boch Keramis fondée par les frères Boch a produit de splendides faïences depuis 1841. Charles Catteau en est l’un des artistes les plus connus. Aujourd’hui le lieu est le site du Musée Kéramis, espace d’art consacré à la céramique.
Fresques
En Italie, à l’ombre des vieux murs, on découvre de magnifiques fresques aux délicats motifs floraux.
Azuma Makoto
L’artiste floral japonais Azuma Makoto (né en 1976) compose des bouquets qu’il fait photographier par Shiinoki Shunsuke. Pour offrir ses créations à la terre entière, il va jusqu’à les transporter par ballon jusque dans la stratosphère. Dans un autre lieu, il les présente dans d’immenses glaçons. Pour la mode, ses bouquets deviennent des parures. Courrez sur son compte instagram @azumamakoto pour découvrir sa créativité débordante.
Azuma Makoto prend à la lettre le concept de vanité expliqué plus haut. Regardez la vidéo dans laquelle il transforme le vase japonais d’Odilon Redon, présenté plus haut.
Cinéma d’animation
La vidéo « l’histoire des fleurs » montre le cycle des fleurs selon un scénario élaboré par Azuma Makoto. Katie Scott et James Paulley l’ont illustrée et animée.
Sur Instagram
Illustration
Vous pouvez découvrir l’abondante production d’Anisa Makoul (@anisamakhoul) sur son compte instagram. Les fleurs se transforment en motif, se présentent en bouquet ou en solo, décorent une boîte de conserve, deviennent un tissu ou du papier-peint. Un enchantement.
Le compte @patterdesigners permet quant à lui de découvrir tous les jours des travaux d’illustrateurs et de créateurs de textile. Une excellente source d’inspiration. Ci-dessus, patterndesigners a choisi le travail d’Helen Dealtry (@helendealtry), également passionnée par les fleurs.
Photographie
Le coquelicot a la cote auprès des peintres et photographes. La fragilité et la transparence de ses pétales, le contraste entre le coeur et la corolle, la posture de la tige et la douceur de son duvet, la tête capsulée qui délivre les graines, tout cela en fait une fleur particulièrement intéressante. Ci-dessous une interprétation de Fanny Cohen (@fancebee). Et quelques autres photographies de son cru.
Recopier
Pour ce défi j’ai recopié une aquarelle de Klaus Fussmann, d’après son petit livre exquis « Metaphern der Flora ».
Créer
Ce sujet est pour moi inépuisable. La première photo que j’ai vendue était un bouquet sur fond doré et ma première commande de peinture, des coquelicots. J’ai commencé à photographier des fleurs après avoir découvert les natures mortes de Toni Catani. Après avoir épuisé toutes les ressources pour me procurer des reproductions de son travail, j’ai décidé d’en réaliser moi-même. Vous pouvez voir ce travail ici.
Par la suite j’ai photographié des fleurs dans des fonds de casserole brulée, dans de la glace (avant Azuma Makoto), ou derrière de la gélatine, comme celle ci-dessous.
C’est donc un sujet qui me tient particulièrement à cœur et je poste régulièrement mes recherches exploratoires sur instagram (@vincy.lacroix).
Pour ce défi, j’ai tenté une nouvelle piste via la superposition.
À vous de jouer
Voici le défi le plus facile à réaliser: il vous suffit d’offrir des fleurs! Faites-en livrer, achetez-en pour vous. Même les tulipes de super-marché ont le pouvoir d’égayer votre intérieur.
Chez le fleuriste, ne cédez pas à la tentation des bouquets tout faits. Assortissez les couleurs en pensant où vous le placerez ou à qui vous l’offrirez. Jouez avec les formes, la verdure, le volume. Inspirez-vous de l’Ikebana, cet art floral japonais, pour recomposer le bouquet chez vous.
Trop chères? Allez les cueillir dans les champs ou dans les friches urbaines; ces fleurs ne tiennent pas longtemps, mais suffisamment pour tenter quelques expériences au scanner ou le temps d’une séance photo, même avec un téléphone. Vous n’avez pas de vase? Un verre, un saladier ou même un bol fera l’affaire. Des tubes en métal que vous aurez rendus étanches pourront mettre en valeur des fleurs uniques. Pas assez stables? Collez un aimant en dessous et fixez le tube sur une plaque en métal.
Installez votre table à dessin, prenez vos crayons de couleurs, aquarelles et gouaches et allez-y, peignez! Et offrez vos créations. Celle-ci, vue sur la rue ce matin vous donnera peut-être des idées!
Si la peinture vous effraie, mettez-vous au dessin numérique en suivant les tutoriels de Gabi sur son blog. Elle m’a envoyé celles-ci pour mon anniversaire. Merci Gabi! Et merci à Benoît, Bernadette, Nicole, Yves,…tout ceux qui m’ont offert des fleurs fraîches ou numériques à cette occasion. Roses pour la plupart, ils m’ont ainsi démontré qu’après la lecture du dernier article, ils osaient le rose!
Alors comme ça je ne suis pas la seule à m’extasier devant la précision des planches de fleurs botaniques 😍 nous avons regardé avec plaisir le film « histoire de fleurs » c’était superbe. Merci de nous avoir fait (ré)découvrir toutes ces créations !
Ah oui, les planches de fleurs…j’en fais l’éloge mais j’ai quand même craqué récemment pour le « Guide des fleurs par couleurs » publié chez PHAIDON. Aussi une source d’inspiration pour tes créations Affinity?
Ahhh les fleurs … Je ne pourrais pas m’en passer … Merci Vinciane pour le partage de toutes ces créations, certaines d’artistes connus, d’autres, d’artistes découverts grâce à ton article … J’attends le printemps avec hâte pour voir pousser les premières dans mon jardin …
Merci Bénénicte de ce gentil commentaire. Depuis la rédaction de cet article j’ai découvert encore beaucoup d’autres artistes; les fleurs et le végétal plus généralement est une magnifique source d’inspiration; tu en sais quelque chose!