Le défi précédent vous a-t-il convaincus de la richesse et de la complexité du blanc?
Dans le thème du portrait il pouvait évoquer le fantôme, la candeur, l’innocence. Il devenait bleu, rouge, rose ou violet dans les paysages et pourtant on le savait blanc.
Cette semaine, au travers de nouveaux thèmes, le blanc va se montrer sous d’autres facettes.
Et avant d’aborder le défi selon la méthode SORC (S’inspirer-Observer-Recopier-Créer), la minute scientifique aujourd’hui intitulée « Plus blanc que blanc ».
Plus blanc que blanc
« Plus blanc que blanc »? Slogan ou réalité physique?
Réalité physico-chimique. En effet, certaines molécules ont le pouvoir d’augmenter la blancheur des textiles, du papier, du plastique, etc. Ces molécules, qualifiées d’agents azurants, rendent réellement le blanc plus lumineux; ainsi « dopée », la matière renvoie plus de rayonnements dans le visible. Comment est-ce possible?
Nous voyons les objets parce qu’ils renvoient une partie des rayons qu’ils reçoivent. Les rayons sont caractérisés par une longueur d’onde. Or nos yeux ne captent que ceux dont la longueur d’onde est comprise entre 380nm et 780nm. Notre sensibilité n’est pas égale sur cet intervalle: elle progresse à partir de 380nm, atteint un pic autour de 555nm (en vision de jour) pour ensuite diminuer progressivement.
Le tour de passe-passe des agents azurants est de capter les rayons entre 300nm et 400nm (pas ou peu visibles) et de les transformer en rayons de longueur d’onde entre 400 nm et 500 nm, là où nous sommes plus sensibles. Cette partie du spectre (<500nm) est aussi celle qui est responsable de notre perception du bleu, d’où cette sensation d’un blanc bleuté.
De plus, une surface légèrement bleutée, même moins claire qu’un diffuseur parfait, sera jugée plus blanche. Dès lors, en terme de blancheur perçue, le spectralon, matériau évoqué dans le défi précédent, fera grise mine devant un coton traité par un agent azurant.
Ainsi, ajoutés dans les détergents, les agents azurants permettent de « laver plus blanc ».
Et les artistes, comment font-ils pour créer un blanc plus blanc?
S’inspirer et Observer
Le défi précédent répond en partie à la question: les artistes ont aussi découvert que le bleu magnifiait le blanc et qu’un contraste de clarté accentuait sa blancheur. Ils n’hésitent pas non plus à utiliser tout une gamme de beiges, de blancs teintés de jaune pour nous donner l’impression d’un blanc, peut-être plus « sale » mais qu’on appellerait néanmoins « blanc ».
Observons donc dans ces thèmes que sont les intérieurs, les natures mortes et enfin le brouillard, quels sentiments les artistes développent chez le spectateur et quels blancs ils utilisent pour les exprimer.
Les intérieurs
Deux peintres à l’honneur dans cette source d’inspiration que sont les intérieurs: l’espagnol Antonio López García et l’hollandais Jan van der Kooi . J’aurais voulu ajouter l’américain Andrew Wyeth, mais croyez-le ou non: à l’heure de l’écriture de ce défi, aucune oeuvre de cet artiste ne peut être diffusée gratuitement. Pour le moment certaines œuvres sont cependant visibles ici.
Les salles de bain d’Antonio López García
Antonio López García (né en 1936), dessinateur hors-pair, est un peintre et sculpteur d’une très grande sensibilité. Ses tableaux, en général de très grande taille, nous projettent au-delà du réel. Sa série de salles de bain crée un sentiment étrange chez le spectateur. Si le blanc est bien la couleur du « propre », l’idéal d’une salle de bain nickel, il est utilisé ici à contre-sens.
Est-ce la profondeur de celle-ci, conçue comme un long couloir quasi vide, qui procure cette impression de solitude, de vide? À l’exception de l’avant-plan sous forme d’un sol d’une propreté douteuse, tout est blanc. Et dans le tableau suivant, on sait que tout dans cette salle de bain est blanc, ou devrait l’être; en réalité, tout est saleté, abandon, délabrement.
La salle de bain ci-dessous est à la fois vide et habitée. Vide par ce miroir qui nous renvoie un mur nu que seul un reflet traverse. Habitée par des objets quotidiens qui nous invitent dans l’intimité d’une vie de couple. Remarquez la composition très structurée, séparée en deux parties : la partie supérieure, quasi frontale, qui dans la réalité devrait renvoyer l’image du spectateur, et la partie inférieure, plongeante.
Jeux de transparence, de volume, de reflets, de lumières et de points de vue: presque tout est traduit par une nuance de blanc.
Les intérieurs de Jan van der Kooi
Les intérieurs blancs de Jan van der Kooi oscillent quant à eux entre réalité et abstraction. La teinte orangée du tableau ci-dessous suggère un après-midi au soleil généreux. La surface brillante de la porte traduite par quelques touches plus blanches, contraste avec le mur mat et anime une composition équilibrée par la présence de cadres de teintes subtiles. L’effet de lumière dessinant la fenêtre sur la porte est saisissant par sa luminosité et sa douceur; une ombre à gauche en modifie le contour et intrigue.
Ci-dessus, le jeu des portes, l’une ouverte, l’autre fermée et celui des rais de lumière projetés sur le mur et sur les reliefs du chambranle, rythment cet ensemble blanc souligné par deux rectangles gris foncé. La transparence d’un vase en cristal taillé, posé sur l’appui de fenêtre en hauteur, se manifeste ici par le blanc le plus pur et le plus clair du tableau. Les jonquilles qui l’occupent constituent la seule touche chromatique ou en tout cas perçue comme telle.
De la même manière, le printemps s’exprime dans le tableau ci-dessous par le biais d’une fleur trônant à l’avant-plan et d’une lumière filtrée par un tissu brut gonflé par le vent. Observez encore toutes les nuances de blancs révélant différentes matières et qualités des surfaces.
Et en exclusivité, un tableau à peine achevé (merci Jan!), qui montre encore la virtuosité du peintre.
Les natures mortes
Les deux peintres présentés ci-dessus se sont également exprimés dans des natures mortes où le blanc domine; comparez leur approche sur un même thème: un verre d’eau dans un environnement blanc.
Trois pots blancs sont mis en scène dans la nature morte de Ged Rudrauf ci-dessous tandis qu’un unique pot de Gesso est le sujet du tableau de Vivian van der Merwe (Instagram: @vivianvdm.art), plus bas. Ce dernier a quelques accents colorés, pas seulement dans les poignées de la casserole, mais aussi dans la nappe qui s’avère une matière relativement brute et rigide, traitée tout en finesse. Observez la rondeur des ombres et l’addition de touches plus claires sur la nappe lui conférant une matière particulière.
@vivianvdm.art(ouvre un nouvel onglet)
Dans un style plus ludique, ci-dessous, les gâteaux blancs de Wayne Thiebaud (né en 1920); observez le glaçage légèrement bleuté dans l’ombre. Remarquez encore comment la couleur ajoutée au blanc donne une indication du volume et de l’orientation des surfaces. Les bords colorés des assiettes participent au côté festif de cette table et les traits rouges dans les gâteaux les rendent plus appétissants.
Dans ses défis quotidiens (un jour, une peinture), Carol Marine synthétise magistralement des objets usuels. Les petites tasses ci-dessus sont blanches, et pourtant, combien de teintes pouvez-vous distinguer, ou plutôt, en voyez-vous une qui manque? Les ombres, les volumes, les reflets, tout est prétexte pour un blanc légèrement coloré.
Et pour terminer la section des natures mortes, un frigo d’Alex Kanevski, d’une grande simplicité et pourtant quelle efficacité!
Le brouillard
Blanc, c’est aussi la couleur du brouillard. Epais, il est angoissant; léger, il est magique: il dessine les silhouettes des arbres comme les dépeint Tobias Spierenburg (né en 1977). J’aime particulièrement celui-ci dont le tronc s’efface totalement au niveau du sol, et devient un arbre sans racine.
Certains artistes comme Ann Veronica Janssens et Olafur Eliasson créent même artificiellement du brouillard dans leurs installations. Les spectateurs expérimentent et vivent les sensations qu’il suscite, selon qu’il soit épais, léger, confiné à l’intérieur ou dans un cadre naturel.
Olafur Eliasson l’utilise explicitement pour créer un sentiment d’impermanence et de transformation. Pour ma part, dans cette installation, il évoque le charme des matins brumeux dans les vallées verdoyantes.
Recopier
Ci-dessous une copie d’une des peintures journalières de Carole Marine .
Créer
Voici ce que m’a inspiré ce nouveau défi: deux intérieurs blancs à l’abandon et des natures mortes blanches « high key ».
À vous de jouer
Ces deux derniers articles dédiés au « défi blanc » vous donnent-ils assez de pistes pour explorer cette couleur?
Avant de les rédiger, je n’imaginais pas la richesse et encore moins la palette des sentiments que toutes ces nuances pouvaient créer. Evidemment, ces subtiles variations requièrent une solide technique, mais surtout, en amont, une fine observation.
Trouvez à votre tour les nuances qui exprimeront votre tempérament. Et, comme moi, expérimentez.