Aller au contenu

Défi #10 Le Blanc (II)

    Le défi précédent vous a-t-il convaincus de la richesse et de la complexité du blanc?

    Dans le thème du portrait il pouvait évoquer le fantôme, la candeur, l’innocence. Il devenait bleu, rouge, rose ou violet dans les paysages et pourtant on le savait blanc.

    Cette semaine, au travers de nouveaux thèmes, le blanc va se montrer sous d’autres facettes.

    Et avant d’aborder le défi selon la méthode SORC (S’inspirer-Observer-Recopier-Créer), la minute scientifique aujourd’hui intitulée « Plus blanc que blanc ».

    Résultat du défi #10 "Blanc" (photo V. Lacroix)
    Résultat du défi #10 « Blanc » (photo V. Lacroix)

    Plus blanc que blanc

    « Plus blanc que blanc »? Slogan ou réalité physique?

    Réalité physico-chimique. En effet, certaines molécules ont le pouvoir d’augmenter la blancheur des textiles, du papier, du plastique, etc. Ces molécules, qualifiées d’agents azurants, rendent réellement le blanc plus lumineux; ainsi « dopée », la matière renvoie plus de rayonnements dans le visible. Comment est-ce possible?

    Nous voyons les objets parce qu’ils renvoient une partie des rayons qu’ils reçoivent. Les rayons sont caractérisés par une longueur d’onde. Or nos yeux ne captent que ceux dont la longueur d’onde est comprise entre 380nm et 780nm. Notre sensibilité n’est pas égale sur cet intervalle: elle progresse à partir de 380nm, atteint un pic autour de 555nm (en vision de jour) pour ensuite diminuer progressivement.

    Le tour de passe-passe des agents azurants est de capter les rayons entre 300nm et 400nm (pas ou peu visibles) et de les transformer en rayons de longueur d’onde entre 400 nm et 500 nm, là où nous sommes plus sensibles. Cette partie du spectre (<500nm) est aussi celle qui est responsable de notre perception du bleu, d’où cette sensation d’un blanc bleuté.

    De plus, une surface légèrement bleutée, même moins claire qu’un diffuseur parfait, sera jugée plus blanche. Dès lors, en terme de blancheur perçue, le spectralon, matériau évoqué dans le défi précédent, fera grise mine devant un coton traité par un agent azurant.

    Ainsi, ajoutés dans les détergents, les agents azurants permettent de « laver plus blanc ».

    Et les artistes, comment font-ils pour créer un blanc plus blanc?

    S’inspirer et Observer

    Le défi précédent répond en partie à la question: les artistes ont aussi découvert que le bleu magnifiait le blanc et qu’un contraste de clarté accentuait sa blancheur. Ils n’hésitent pas non plus à utiliser tout une gamme de beiges, de blancs teintés de jaune pour nous donner l’impression d’un blanc, peut-être plus « sale » mais qu’on appellerait néanmoins « blanc ».

    Observons donc dans ces thèmes que sont les intérieurs, les natures mortes et enfin le brouillard, quels sentiments les artistes développent chez le spectateur et quels blancs ils utilisent pour les exprimer.

    Les intérieurs

    Deux peintres à l’honneur dans cette source d’inspiration que sont les intérieurs: l’espagnol Antonio López García et l’hollandais Jan van der Kooi . J’aurais voulu ajouter l’américain Andrew Wyeth, mais croyez-le ou non: à l’heure de l’écriture de ce défi, aucune oeuvre de cet artiste ne peut être diffusée gratuitement. Pour le moment certaines œuvres sont cependant visibles ici.

    Les salles de bain d’Antonio López García

    Antonio López García (né en 1936), dessinateur hors-pair, est un peintre et sculpteur d’une très grande sensibilité. Ses tableaux, en général de très grande taille, nous projettent au-delà du réel. Sa série de salles de bain crée un sentiment étrange chez le spectateur. Si le blanc est bien la couleur du « propre », l’idéal d’une salle de bain nickel, il est utilisé ici à contre-sens.

    Est-ce la profondeur de celle-ci, conçue comme un long couloir quasi vide, qui procure cette impression de solitude, de vide? À l’exception de l’avant-plan sous forme d’un sol d’une propreté douteuse, tout est blanc. Et dans le tableau suivant, on sait que tout dans cette salle de bain est blanc, ou devrait l’être; en réalité, tout est saleté, abandon, délabrement.

     Antonio López García, Salle de bain
    © Antonio López García, Salle de bain
    Antonio López García, Salle de bain
    © Antonio López García, Salle de bain

    La salle de bain ci-dessous est à la fois vide et habitée. Vide par ce miroir qui nous renvoie un mur nu que seul un reflet traverse. Habitée par des objets quotidiens qui nous invitent dans l’intimité d’une vie de couple. Remarquez la composition très structurée, séparée en deux parties : la partie supérieure, quasi frontale, qui dans la réalité devrait renvoyer l’image du spectateur, et la partie inférieure, plongeante.

    Jeux de transparence, de volume, de reflets, de lumières et de points de vue: presque tout est traduit par une nuance de blanc.

    Antonio López García, l'évier
    © Antonio López García, l’évier

    Les intérieurs de Jan van der Kooi

    Les intérieurs blancs de Jan van der Kooi oscillent quant à eux entre réalité et abstraction. La teinte orangée du tableau ci-dessous suggère un après-midi au soleil généreux. La surface brillante de la porte traduite par quelques touches plus blanches, contraste avec le mur mat et anime une composition équilibrée par la présence de cadres de teintes subtiles. L’effet de lumière dessinant la fenêtre sur la porte est saisissant par sa luminosité et sa douceur; une ombre à gauche en modifie le contour et intrigue.

    Jan van der Kooi, peinture
    © Jan van der Kooi (2013) (avec l’aimable autorisation de l’artiste)
    peinture de Jan van der Kooi (2011)
    © Jan van der Kooi (2011) (avec l’aimable autorisation de l’artiste)

    Ci-dessus, le jeu des portes, l’une ouverte, l’autre fermée et celui des rais de lumière projetés sur le mur et sur les reliefs du chambranle, rythment cet ensemble blanc souligné par deux rectangles gris foncé. La transparence d’un vase en cristal taillé, posé sur l’appui de fenêtre en hauteur, se manifeste ici par le blanc le plus pur et le plus clair du tableau. Les jonquilles qui l’occupent constituent la seule touche chromatique ou en tout cas perçue comme telle.

    De la même manière, le printemps s’exprime dans le tableau ci-dessous par le biais d’une fleur trônant à l’avant-plan et d’une lumière filtrée par un tissu brut gonflé par le vent. Observez encore toutes les nuances de blancs révélant différentes matières et qualités des surfaces.

    Jan van der Kooi, "Printemps dans mon studio"
    © Jan van der Kooi, « Printemps dans mon studio » (avec l’aimable autorisation de l’artiste)
    Jan van der Kooi, "Hiver 19-20" (2020)
    © Jan van der Kooi, « Hiver 19-20 » (2020) (avec l’aimable autorisation de l’artiste)

    Et en exclusivité, un tableau à peine achevé (merci Jan!), qui montre encore la virtuosité du peintre.

    Les natures mortes

    Les deux peintres présentés ci-dessus se sont également exprimés dans des natures mortes où le blanc domine; comparez leur approche sur un même thème: un verre d’eau dans un environnement blanc.

    Antonio López García, verre d'eau
    © Antonio López García, verre d’eau
    Tableau de Jan van der Kooi (2013)
    © Jan van der Kooi (2013) (avec l’aimable autorisation de l’artiste)

    Trois pots blancs sont mis en scène dans la nature morte de Ged Rudrauf ci-dessous tandis qu’un unique pot de Gesso est le sujet du tableau de Vivian van der Merwe (Instagram: @vivianvdm.art), plus bas. Ce dernier a quelques accents colorés, pas seulement dans les poignées de la casserole, mais aussi dans la nappe qui s’avère une matière relativement brute et rigide, traitée tout en finesse. Observez la rondeur des ombres et l’addition de touches plus claires sur la nappe lui conférant une matière particulière.

    @vivianvdm.art(ouvre un nouvel onglet)

    Nature morte de Ged Rudrauf
    Ged Rudrauf
    Vivian Van der Merwe, "Nature Morte avec pot de Gesso"
    Vivian Van der Merwe, « Nature Morte avec pot de Gesso ».

    Dans un style plus ludique, ci-dessous, les gâteaux blancs de Wayne Thiebaud (né en 1920); observez le glaçage légèrement bleuté dans l’ombre. Remarquez encore comment la couleur ajoutée au blanc donne une indication du volume et de l’orientation des surfaces. Les bords colorés des assiettes participent au côté festif de cette table et les traits rouges dans les gâteaux les rendent plus appétissants.

    Wayne Thiebaud "Autour des gâteaux" 1962
    © Wayne Thiebaud, « Autour des gâteaux », 1962.

    Carol Marine, "Petites tasses"
    Carol Marine, « Petites tasses »

    Dans ses défis quotidiens (un jour, une peinture), Carol Marine synthétise magistralement des objets usuels. Les petites tasses ci-dessus sont blanches, et pourtant, combien de teintes pouvez-vous distinguer, ou plutôt, en voyez-vous une qui manque? Les ombres, les volumes, les reflets, tout est prétexte pour un blanc légèrement coloré.

    Et pour terminer la section des natures mortes, un frigo d’Alex Kanevski, d’une grande simplicité et pourtant quelle efficacité!

    Alex Kanevsky, Fridge, 2001, Oil on wood, 24 x 24 inches. Image courtesy of the artist and Dolby Chadwick Gallery.
    © Alex Kanevsky, « Frigo » (2001) (avec l’aimable autorisation de l’artiste et de la Galerie Dolby Chadwick).

    Le brouillard

    Blanc, c’est aussi la couleur du brouillard. Epais, il est angoissant; léger, il est magique: il dessine les silhouettes des arbres comme les dépeint Tobias Spierenburg (né en 1977). J’aime particulièrement celui-ci dont le tronc s’efface totalement au niveau du sol, et devient un arbre sans racine.

    Tobias Spierenburg, peinture
    Tobias Spierenburg, peinture

    Certains artistes comme Ann Veronica Janssens et Olafur Eliasson créent même artificiellement du brouillard dans leurs installations. Les spectateurs expérimentent et vivent les sensations qu’il suscite, selon qu’il soit épais, léger, confiné à l’intérieur ou dans un cadre naturel.

    Olafur Eliasson l’utilise explicitement pour créer un sentiment d’impermanence et de transformation. Pour ma part, dans cette installation, il évoque le charme des matins brumeux dans les vallées verdoyantes.

    Olafur Eliasson, "Assemblée de Brouillard" (2016)
Installation au Palais of Versailles (Photo: Anders Sune Berg)
    © Olafur Eliasson, « Assemblée de Brouillard » (2016)
    Installation au Palais of Versailles (Photo: Anders Sune Berg
    avec l’aimable autorisation du Studio Olafur Eliasson)

    Recopier

    Ci-dessous une copie d’une des peintures journalières de Carole Marine .

    Copie d'après Carole Marine
    Copie d’après Carole Marine

    Créer

    Voici ce que m’a inspiré ce nouveau défi: deux intérieurs blancs à l’abandon et des natures mortes blanches « high key ».

    Vinciane Lacroix, Intérieur abandonné
    Vinciane Lacroix, intérieur abandonné
    Vinciane Lacroix, intérieur abandonné
    Vinciane Lacoix, Vaiselle blanche
    Vinciane Lacoix, Vaiselle blanche
    Vinciane Lacroix, tasse et orchidée
    Vinciane Lacroix, tasse et orchidée
    Vinciane Lacroix, orchidées
    Vinciane Lacroix, orchidées

    À vous de jouer

    Ces deux derniers articles dédiés au « défi blanc » vous donnent-ils assez de pistes pour explorer cette couleur?

    Avant de les rédiger, je n’imaginais pas la richesse et encore moins la palette des sentiments que toutes ces nuances pouvaient créer. Evidemment, ces subtiles variations requièrent une solide technique, mais surtout, en amont, une fine observation.

    Trouvez à votre tour les nuances qui exprimeront votre tempérament. Et, comme moi, expérimentez.

    Partager l'article

    Laisser un commentaire

    Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *