Petit tour d’horizon de quelques expositions –dont j’ai vu les deux premières– et pleins feux sur la carrière de cet immense artiste. Quelle abondance! Jugez par vous-mêmes: à 84 ans, la créativité de David Hockney ne faiblit pas. Que faire sinon travailler? C’est sa manière de célébrer la beauté du monde.
Deux expositions à BOZAR
Jusqu’en janvier 2022, le visiteur a, pour le prix d’une exposition, la possibilité d’en voir deux. La première propose une rétrospective de son œuvre et la seconde, son travail récent en Normandie.
La collection du Tate Modern (1954-2017)
Cette première exposition donne en quatre salles un aperçu de l’œuvre de David Hockney depuis 1954 jusqu’à 2017; vous y verrez des peintures, gravures et lithographies issues du Tate Modern. De quoi retracer l’évolution de l’artiste et découvrir ses thèmes favoris exprimés via divers médias.
L’homosexualité, la beauté des corps masculins, la représentation de l’espace, du temps, du mouvement, des jeux de lumière et de transparence ainsi que la beauté de la nature m’apparaissent comme quelques fils rouges tissant son œuvre.
Coups de cœur
Trois tableaux majeurs et de grande taille y figurent: « Man in shower in Bevery Hills« (1964), « Mr. and Mrs Clark and Percy » (1970) et « My Parents » (1977). Un plaisir de les voir en vrai, en grand!
Et puis il y a aussi le très impressionnant « Bigger Trees Near Warter« (2007). Impressionnant surtout par sa taille et par son processus de création. En effet, pour sa réalisation Hockney a fait de multiples allers-retours dans la campagne anglaise et son studio de Bridlington, dessinant et peignant « sur le motif », puis, en studio, parachevant l’un ou l’autre tableau ou concevant l’ensemble du travail de manière digitale. Au total une scène de 12.2 m x 4,6 m composée de 50 tableaux! Une vidéo (en anglais) sur la conception de ce travail est disponible ici (cliquez sur la vignette intitulée « Making of Bigger Trees Near Warter« ).
Les débuts
David Hockney connaît son premier succès commercial alors qu’il est encore étudiant à la « Bradford School of Art ». Il s’agit d’une peinture de son père datant de 1955 (voir ici en milieu de page). David n’est pas du genre à thésauriser; il investit cette somme dans un premier voyage en Amérique dont il rendra compte dans une série de gravures intitulée « A Rake’s Progress« . Cette série est inspirée par « La carrière d’un Libertin« , une histoire en 8 gravures réalisées au XVIIIème par William Hogarth. Clairement, Hockney s’affiche comme un libertin contemporain. Rappelez-vous en effet qu’à cette époque l’homosexualité est encore considérée comme une maladie mentale. D’ailleurs, la dernière gravure d’Horgarth s’intitule « La maison des fous« .
Les gravures de la série d’Hockney sont en noir et blanc, avec un accent rouge plus ou moins prononcé. Dans « The arrival » où l’artiste se représente, certains verront un signe phallique dans le graphisme des bâtiments, d’autres simplement l’emblème de New York.
Sur le site de la Tate Galery vous verrez aussi celles-ci: « Meeting the Good People« , « The Gospel Singing« , « The Drinking Scene« , « Marries an Old Maid« , « Viewing a Prison Scene« , « The Wallet Begins to empty« , « Death in Harlem« , « Cast Aside« , et « Meeting the Other People« .
Los Angeles
L’ambiance californienne de Los Angeles, son soleil éclatant, ses grands espaces, son architecture moderne, tout cela se retrouve dans les peintures de cette époque. La fascination d’Hockney pour les corps masculins aussi bien sûr. Et encore son intérêt pour les questions relatives à la représentation.
Comment traduire la transparence? L’eau en mouvement? Les reflets dans la piscine? Essayez vous-même de relever ce passionnant défi. L’exposition propose des solutions originales trouvées par Hockney: « L’homme dans sa douche » et « Peter sortant de la piscine de Nick« .
Ce travail va marquer la peinture contemporaine tout en s’inscrivant dans la continuité de l’histoire de l’art. Le bain est en effet un sujet de prédilection pour les peintres; une occasion pour rendre compte de la beauté des corps, en mouvement ou au repos, les attitudes et les couleurs de peau, les effets de lumière directe, diffuse ou réfléchie, toute situation rendue magique par la présence de l’eau.
Le bain dans la peinture
Ci-dessous plusieurs exemples de traitements du même sujet par des artistes d’époques et de cultures différentes.
Les piscines inspirent David Hockney. Il les peint, les dessine, les grave, les photographie, les couche sur n’importe quel support. Chaque technique lui dévoile ce qu’elle a de plus spécifique pour capter le sujet; il l’exploite alors jusqu’à épuisement. Par exemple, ici, il colore le papier dans la masse. Là, la photographie n’est plus un simple cliché mais un collage complexe (cliquez sur la 4ème image).
Le « naturalisme » des doubles-portraits
Les années 68-77 voient la création de double-portraits grandeur nature. Ils sont mis en scène de sorte que le spectateur a l’impression de partager l’espace des couples représentés.
Hockney utilise alors beaucoup la photographie pour construire ses tableaux. Le « naturalisme » qu’on attribue volontiers aux œuvres de ces années-là viendrait-il de ce procédé ? Les tableaux ont cependant en plus une dimension onirique, une étrangeté. Et malgré la présence de personnages, un sentiment d’absence semble planer dans l’espace.
Les photographies et dessins qui ont abouti au double-portraits « Shirley Goldfarb et Gregory Masurovsky » rendent compte de ce processus de création (voir l’ensemble ici en bas de page).
Quoique représentés en couple, ceux-ci ne suggèrent guère la communication. Regardez « Henry Geldzahler and Christopher Scott » (1968-69), « American Collectors (Fred & Marcia Weisman) » (1968) , « Mr. and Mrs Clark and Percy » (1970) , « My Parents » (1977), ou même « Portrait of an artist (Pool with two Figures) » (1972). On est loin de la conversation de Matisse (ci-dessous) qui, alors que le tableau présente une composition très similaire, suggère le dialogue.
Le portrait – simple cette fois – restera un des sujets favoris de David Hockney. Entre 2012 et 2015 il en produit d’ailleurs une grande série, tous sur le même modèle et réalisés chacun en 3 jours.
La représentation de l’espace et la vision multifocale
La représentation de l’espace a toujours fasciné David Hockney. Or la photographie ne rend pas compte de notre perception de l’espace. On ne voit pas comme un appareil photographique! Déjà, le champ de vue est différent. Par exemple, un grand angulaire offre une vision trop large. Quant au 50mm, s’il se rapproche de la focale de notre œil, il ne nous offre pas une vision plus « juste » pour autant. Il ne s’agit donc pas seulement de focale.
Inspiration cubiste
Aussi, pour explorer l’espace, David Hockney suit les traces de Picasso. En présentant plusieurs points de vue sur une même toile, le peintre cubiste se déjoue des contraintes imposées au photographe.
Mais David Hockney photographe contourne cette difficulté; il saisit son sujet sous différents angles et assemble les photographies dans des collages. Cette invention lui permet en plus de figurer le temps qui passe. Bref de mêler l’espace et le temps dans une œuvre unique.
Dans la vidéo ci-dessous il explique le procédé d’élaboration de ces collages photographiques.
Le rejet de la perspective traditionnelle
L’introduction de la perspective dans la peinture occidentale a opéré un changement fondamental dans la représentation de l’espace. Pourtant elle n’est pas universelle.
En effet, la perspective cavalière (voir ci-dessous), déjà évoquée dans le défi consacré à la couleur de l’ombre, ne présente pas de point de fuite; elle a l’avantage de ne pas arrêter l’œil, et dès lors rend plus aisé le déroulement d’une histoire via un balayage visuel. Voilà pourquoi elle a été privilégiée par les orientaux dans les rouleaux peints ou les paravents.
Notez que le temps et l’espace sont également présents dans les deux illustrations ci-dessous.
L’espace, le temps et la narration
Dans les peintures des années 80, David Hockney intègre ses réflexions sur le temps et l’espace. Dans le « large intérieur, Los Angeles » (1988), le spectateur se promène dans le tableau comme dans sa propre mémoire. Pas de perspective centrale. Pas d’espace figé.
Des peintures de l’hôtel Acatlan, visibles également à l’exposition, sont emblématiques de cette série « moving focus » . On pense alors à l’art brut ou à des dessins d’enfants où l’absence de perspective traditionnelle révèle une perception originale et inédite. Ou encore à un décor de théâtre.
À cette époque naissent enfin des paravents comme « Carebbean Tea-Time« , rappelant les papiers découpés de Matisse.
Un avis sur cette rétrospective
Aussi le visiteur sera certainement ravi de cette rétrospective riche et dense. Certes, plus de collages photographiques, plus de piscines, plus de textes explicatifs ou seulement la possibilité de photographier le combleraient davantage.
Le printemps en Normandie
La deuxième exposition vous emmène en Normandie où Hockney s’est attelé à décrire l’arrivée du printemps, présenté ici en 116 tableaux.
Inspiration normande
En Normandie, David Hockney ne manque pas de contempler la tapisserie de Bayeux. À nouveau, il s’agit d’une question d’espace, de temps et de narration. Cette histoire lie d’ailleurs l’Angleterre, patrie de l’artiste et la France, chère à son cœur.
Ci-dessous, un détail de la tapisserie dont l’ensemble est visible ici. Notez encore qu’elle n’a ni point de fuite, ni ombre. Le procédé est donc idéal pour raconter cette épopée. David Newton ne manque pas de le faire en l’animant, dans la vidéo qui suit.
Remarquez la parenté entre la tapisserie et la frise « Autour de la maison, Hiver« , jusque dans les tons employés. Et c’est encore le même principe qu’Hockney a utilisé pour décrire l’environnement autour de sa maison normande, comme vous le verrez plus loin.
Le bagage des peintres précédents
La Normandie, c’est aussi le berceau de l’impressionnisme. Giverny n’est pas loin, et, en s’attaquant au printemps français, Hockney sait que la comparaison avec Monet s’imposera. Peut-être est-ce dans les nymphéas que les deux peintres se rejoignent le plus.
D’ailleurs, comme vous le verrez ci-dessous, l’exposition « A year in Normandie » au Musée de l’Orangerie assume cette filiation.
De fait, quand il peint le printemps, Hockney sait qu’il utilise tout le bagage des artistes qui le précèdent.
Il a beaucoup d’affinités également avec Vincent Van Gogh, avec qui il partage « la joie de la nature ». Titre d’ailleurs qu’il a donné à une exposition précédente au Musée Van Gogh d’Amsterdam. Et quand on voit « n° 763, 29 March 2021« , on ne peut que penser aux arbres de Van Gogh.
L’iPad
Tous les travaux présentés dans cette deuxième exposition ont été conçus sur iPad. Hélas, ils ne sont pas présentés sur ce médium; ce sont d’énormes panneaux imprimés qui couvrent les murs de la salle, sur deux rangées.
Personnellement, j’ai été très déçue. Peu de nuances dans les couleurs; une impression d’un même vert pour toutes les pelouses, un même bleu pour le ciel, peu de nuances de blanc dans les nuages ou les fleurs. Est-ce l’éclairage? La mauvaise qualité des impressions? Je ne peux concevoir que cela ait échappé à l’artiste.
Pourtant Hockney travaille sur l’iPad depuis 2010. En fait, il a même commencé l’art digital sur l’iPhone dès 2008. En 2010-2011, la fondation Bergé-YSL expose ses dessins digitaux: iPhones et iPads tapissent les murs. Un enchantement! En plus on peut même voir certains dessins s’élaborer sous nos yeux.
Et pourtant, la question se posait déjà alors: » Faut-il exposer des écrans aussi petits que l’iPhone ? David Hockney insiste, c’est le premier support numérique sur lequel il a dessiné. »
Pourquoi avoir adopté une autre approche aujourd’hui?
Dans ce même article, une autre question: « Comment se vend une telle œuvre ? Si elle est imprimée sur papier, elle perd sa luminosité et une grande partie de son intérêt. » Je confirme. La technologie d’impression n’y est pour rien: l’ensemble des couleurs disponibles sur l’écran est beaucoup plus large que celui d’une imprimante.
Une exposition à l’orangerie
Quoique les tableaux exposés soient différents au Musée de l’Orangerie, le principe semble identique: de larges panneaux imprimés sur les murs du Musée. L’exposition est visible jusqu’en février 2022.
Bilan mitigé des expositions
Alors que, grande fan même avant la découverte de ses collages photographiques au Centre Pompidou (1982), admirative de son travail sur iPad au point d’en acheter un suite à l’exposition « Fleurs Fraîches » (2011), je suis sortie très déçue de « L’arrivée du Printemps« .
Les vidéos que j’ai sélectionnées pour vous m’auraient suffi: rien de tel qu’un écran d’ordinateur pour admirer un travail conçu sur écran. J’aurais par contre adoré voir ses peintures et dessins réalisés en Normanide.
L’exposition « La collection du Tate Modern » a cependant comblé mes attentes. Et si vous n’avez pas l’occasion de la visiter vous aurez une vue d’ensemble de l’œuvre d’Hockney dans la vidéo ci-dessous.
Aussi allez plutôt dans les expositions où vous pouvez voir les œuvres peintes de ce grand artiste. Même dans cet énorme projet de l’éclosion du printemps, David Hockney ne s’est pas contenté que de l’iPad. D’ailleurs certaines galeries présentent aussi ces œuvres peintes. La vidéo ci-dessous en dévoile quelques unes.
Néanmoins, les livres et catalogues qui reproduisent les œuvres de « L’arrivée du Printemps » me séduisent. Même si l’on perd la luminosité du travail, la taille de la reproduction me paraît plus en adéquation avec le trait original et la « patte » de l’artiste.
L’ensemble transmet vraiment « la beauté du monde » et la « joie prodiguée par la nature ».
Pour en découvrir encore plus
Le site officiel de David Hockney et la fondation Hockney sont deux incontournables pour explorer le foisonnement de l’œuvre de cet artiste hors du commun.
Si vous suivez les fils qu’ils vous recommandent, vous pourrez vous égarez dans des galeries, dans les films et vidéos où il partage son processus de création ou son style de vie.
Un voyage en perspective? Consultez le calendrier de ses expositions. Vous avez oublié la date ou le titre d’une exposition ou d’une œuvre? Retrouvez-les avec quelques indices et leur outil de recherche. Cliquez sur la petite loupe, en haut à droite.
Quant à la Tate Modern, elle vous permettra également de découvrir d’autres aspects. Des articles comme celui-ci vous feront percevoir en quoi cette œuvre contemporaine est majeure dans l’histoire de l’art.
Mais surtout, ne manquez pas ses livres et notamment ceux qu’il co-écrit avec Martin Gayford.
Enfin, vous pouvez aussi suivre David Hockney sur Twitter (@ArtistHockney).
Grand merci, Vinciane, pour cette mise en perspective de ce grand artiste 🙂